Au rayon des pâtes, le peuple et la culture française en mutation ?
Chaque année, la semaine de la langue française est l’occasion de célébrer un patrimoine linguistique, précieux facteur de cohésion sociale. Cette année, l’épidémie Covid-19 fait passer ce moment au second plan. Dans la perspective d’un confinement, les Français se sont empressés de stocker ce qui leur semblait essentiel : des pâtes, des nouilles et du riz.
A travers le langage comme à travers les comportements collectifs ou les pratiques alimentaires, qu’est-ce que « faire peuple » ?
Dans cette première étude de l’année 2020, Motamorphoz s’est intéressé à ce rayon épicerie. Les céréales sont à la base de l’alimentation. Elles sont à l’origine des grandes civilisations. L’évolution de leur culture est le reflet de l’histoire mondiale, notamment de celle des migrations.
S’intéresser aux signes inscrits sur ces emballages de céréales, c’est donc interroger un référentiel linguistique largement commun. C’est étudier les mutations culturelles de la consommation française.
Depuis 1995, la loi Toubon impose l’usage du français dans la communication commerciale. Les langues étrangères y sont néanmoins très présentes. Pour le citoyen-consommateur français, les emballages du quotidien dessinent un environnement langagier familier et pourtant complètement polyglotte. Dans le rayon jugé le plus important par les Français, la défense de la langue française unique n’a pas cours. En revanche, la culture française se colore de signes et d’emprunts linguistiques étrangers.
Du point du vue du marketing, l’argumentation de la typicité locale est une façon habile de s’affranchir de la loi Toubon. Paradoxalement, l’emploi d’une langue étrangère devient ainsi en soi un gage d’authenticité, et par là un gage de qualité.
Plus une langue est éloignée du français, le chinois ou l’arabe par exemple, plus elle est susceptible d’être remplacée par des symboles. Ils remplissent cette même fonction valorisante. Il s’agit d’évoquer une origine, une graphie et une culture, pour donner de la valeur au produit. Ce langage de signes vaut aussi pour les langues régionales. Le breton et l’alsacien notamment sont réduits à utiliser des symboles, et non leur langue, pour se différencier du Français et faire valoir leur typicité. La langue française ne bénéficie finalement pas de tous ces ressorts publicitaires, ses produits d’origine française sont simplement « français ». On connait finalement mieux les pâtes farfalle que les spätzle, les shortbread que les bredele.
Ce constat rappelle le rôle essentiel des AOC et IGP dans la puissance d’appétence des produits français, pas seulement les pâtes. Comme un supplément d’âme et d’identité.
Tribune à lire sur les Echos : La France au rayon épicerie