De quoi le « porn » est-il l’assouvissement ? Une analyse
En décembre dernier, le réseau tumblr, réputé tolérant en matière de nudité, décidait de bannir ces contenus dits « adultes ». Le changement de position a fait réagir. Pour beaucoup, la plateforme était un lieu d’expression artistique. A ce titre, le nu ne pouvait souffrir d’aucune censure. Comme Facebook, Instagram et Pinterest avant lui, il spécifie à présent dans ses conditions d’utilisation qu’il est interdit d’y publier des images à caractère « explicite ».
Pourtant, sur chacun de ces réseaux, le mot porn se répand parmi les hashtags qui étiquettent des images toutes innocentes
Nourriture, livres ou même maisons… Sont-ce de nouveaux fétiches ? Non point ! À l’heure des réseaux sociaux, le porn n’a plus rien de pornographique : il raconte les petites extases du quotidien (une pizza au fromage fondant, une bibliothèque bien rangée, une route au tracé impeccable, …) avec une touche d’auto-dérision.
On doit ce glissement de sens à l’analyse de la journaliste anglaise Rosalind Coward.
Elle publie en 1984 une analyse à charge sur la publicité alimentaire et son incitation à consommer. En proposant le concept de foodporn, la journaliste retouche des photos à outrance, qui se veulent faire saliver, éveiller le désir jusqu’à faire ressentir le goût et les textures du produit promu.
Le rapprochement entre nourriture et sexualité, en lui-même, n’étonne pas : on utilise volontiers le vocabulaire du premier pour sous-entendre le second, même dans Les Mille et une nuits ou Le Cantique des cantiques. Il est rare, pourtant, que les mots prennent le chemin inverse et sortent du tabou du sexe. En particulier quand ils sont aussi connotés que porno — du grec pórnê, « prostituée » — ou orgasme, qui a également été « hashtaguisé ». En brisant ce mur, Coward l’autorise soudain à désigner toutes sortes d’excitations et de plaisirs coupables. Elle lui conserve néanmoins l’idée d’obscénité, par laquelle on exprime une distance critique avec ce que l’on qualifie nouvellement de pornographique.
Avec les réseaux sociaux, porn subit une seconde transformation ; il quitte la confidence pour entrer dans l’espace public. C’est l’objet de ces réseaux — donner à voir son quotidien et son intimité.
Le porn n’est plus, dès lors, un acte de voyeurisme : il homologue une exhibition assumée.
Paradoxalement, c’est aussi autant d’informations offertes en pâture à la publicité ciblée. Rosalind Coward a-t-elle échoué pour autant ? On ne peut passer à côté de l’emphase caricaturale du #riotporn ou du #fashionporn. En verbalisant le potentiel ridicule de cet étalage, le hashtag crée avec lui une distance ironique. Cela n’en reste pas moins une exhibition de soi, qui cherche auprès de l’autre reconnaissance et légitimité, sentiment d’appartenance. Le porn n’est certes plus un tabou. Il est devenu l’expression d’un indicible : la peur de l’insignifiance.