Le progrès durable est-il un pléonasme?
S’il a appartenu longtemps à la terminologie écologiste pour défendre une vision des actions humaines, le concept de développement durable est aujourd’hui partout : mobilité durable, agriculture durable, économie durable, … L’adjectif, à présent, contient en lui-même l’idée de croissance et a redéfini une vision de l’économie à mesure qu’il s’est stabilisé dans la langue et les usages.
Une alternative à la décroissance
L’idée trouve son origine dans Walden, un écrit du philosophe américain H.D. Thoreau : le développement économique irait de pair avec la qualité de l’environnement. Selon lui, il existe un rapport entre le fonctionnement des sociétés humaines et celui de la nature. La thèse se développe dans la littérature scientifique anglophone et on baptise le concept dans les années 1980 : sustainable development.
En 1987, le rapport Brundtland introduit le terme au grand public. Cette publication de la Commission mondiale pour le développement et l’environnement servira de base de travail au Sommet de la Terre de 1992. Son ambition : penser la croissance économique sur le long terme en prenant en compte les réalités environnementales et sociétales. C’est tout le sens du mot « développement », qui s’oppose en cela au concept de décroissance né dans les années 1970.
De « supportable » à « durable » : plus de progrès, moins de pénibilité
Mais si la traduction française de « development » va de soi, qu’en est-il de « sustainability » ? Bien que la signification de ce terme est aujourd’hui associée sans hésitation à la viabilité de la croissance, on y entend, à l’époque, l’idée de supportable ou de justifiable. La différence sémantique entre ces propositions ? La notion de durabilité, qu’on suggère dans viabilité et qui est absente des deux autres termes. Or, il s’agit bien de réfléchir à une solution économique pérenne, qui puisse offrir une continuité au progrès tel qu’il a présidé au XIXe siècle.
Le débat a lieu malgré cela, à cause de la proximité phonétique entre sustainable et soutenable. Celle-ci faciliterait l’assimilation du concept, mais on tranchera finalement en sa défaveur. En effet en français, la notion de soutenabilité renvoie alors à une notion environnementaliste qui exclut la perspective économique. Le terme, en effet, naît sous la plume de Philippe VI de Valois qui, dans une ordonnance de 1346, recommande aux « maîtres des forêts » de « faire que lesdites forêts se puissent perpétuellement soutenir en bon état ».
« Durable » a ainsi triomphé. Il dit le progrès qu’on veut perpétuer dans les démarches industrielles, la poursuite de la croissance, et tait, finalement, la possibilité d’une morale qu’évoquaient des termes comme soutenable, justifiable, supportable. Quand ces derniers désignent une opinion, un jugement de valeur, « durable » n’implique qu’un état de fait. Voilà qui économise la conscience.