La flexibilité est elle un gage de liberté ?
Nous vivons dans une société en perpétuel mouvement où l’innovation est reine et la capacité à s’adapter devenue essentielle. Il n’est pas étonnant que le concept de « flexibilité » y jouisse d’une popularité grandissante. Ce mot technique a remplacé la notion d’accommodement dans le langage privé. Dans le langage économique, celle de variable. A l’évidence plus performatif, car il évoque la force du roseau de la fable.
Que l’on parle de flexibilité de l’emploi, d’horaires flexibles ou de flexitarisme, le mot désigne autant l’adaptabilité que l’absence de choix définitif.
En permettant de ne pas choisir, la flexibilité rend elle vraiment plus libre ? Permet-elle d’être soi, en conscience avec ses valeurs ? Le paradoxe est posé.
Dérivée du verbe latin flecto qui signifie courber ou ployer, la flexibilité n’est pas assortie que de connotations positives.
Chez un individu flexible, on verra une certaine faiblesse dans cette promptitude à se plier à l’avis des autres. Le mot connote une trop grande réversibilité, voire un opportunisme qui ne dit pas son nom. Au gré du vent et des opinions. Au contraire, la flexibilité est valorisée, dans le milieu professionnel en particulier. Les entreprises la défendent. Les salariés l’apprécient, à la recherche de conditions de travail plus confortables. Est-ce à dire que la malléabilité et l’élasticité sont devenues des qualités essentielles ? En réalité, il s’agit plutôt de valoriser une absence de contraintes garantissant la liberté.
Le préfixe « flexi » a gagné en popularité : flexitarien, flexitarisme, flexisécurité…
Ainsi le terme « flexitarien » désigne un régime alimentaire principalement végétarien qui s’accommode de quelques incartades, souvent pour des raisons sociales, familiales ou amicales.
Cette pratique qui consiste finalement à se comporter comme un Romain à Rome, sans imposer la rigidité d’un usage, est-elle une marque d’intelligence ? A l’inverse, on peut voir dans le flexitarisme une conviction mal assumée, une réticence à afficher vraiment ses valeurs en acceptant les contraintes d’un engagement plus entier.
Le concept de « flexisécurité », qui fait usage du même préfixe, est lui aussi porteur d’ambiguïté. Beaucoup entendu pendant la dernière campagne présidentielle, ce mot désigne un système où il serait plus facile de perdre comme de retrouver un emploi. On pense notamment au code du travail des pays scandinaves. Pour certains, la flexibilité permettrait à l’employeur de ne pas s’engager sur le long terme avec un salarié. Cela aboutirait à une certaine précarité et c’est pour cette raison qu’en mars 2019, le comité européen des droits sociaux a ainsi sanctionné la loi El Khomri sur les aménagements aux 35 heures. À l’inverse, d’autres défendent l’idée que ce système permet une plus grande mobilité professionnelle donnant à chacun la possibilité de changer d’emploi rapidement.
Flexibilité est donc un terme équivoque, porteur de contradictions.
D’un côté, la flexibilité permet d’éviter les attaches et les entraves. De l’autre, elle donne à voir un monde où les liens deviennent moins pérennes, et les engagements moins catégoriques.