La novlangue, toujours la langue des autres ?
Dans son roman culte 1984, George Orwell décrit un pays en régime totalitaire sans aucune liberté d’expression. La seule vision de la réalité pouvant exister publiquement serait celle du parti au pouvoir. Dans ce but, l’État cherche à imposer une langue alternative qui supplanterait l’anglais tel qu’il est parlé par la population.
Cette langue, appelée novlangue en français, utilise une grammaire simplifiée et un lexique très pauvre. Elle rendrait impossible l’expression d’idées ou de discours qui iraient à l’encontre de l’idéologie du régime. Son extrême simplicité aurait même pour effet d’abrutir ses locuteurs, les rendant incapables de réflexions poussées et de pensée critique.
L’idée qu’une langue simplifiée limiterait l’intelligence vient du déterminisme linguistique : une théorie populaire au début du 20e siècle, postulant un lien étroit entre le langage, l’habitude, et la pensée.
Le fantasme d’une langue risquant de se détériorer se cache donc derrière les usages du mot novlangue aujourd’hui, hors du contexte du roman 1984. Cela mettrait en danger toute capacité à penser et communiquer. Dans les faits, l’intelligence n’est pas relative à la langue et qu’aucune langue n’est supérieure à une autre. La recherche en linguistique l’a montré.
Il est devenu très commun aujourd’hui de qualifier certains discours ou habitudes langagières de novlangue.
Les politiciens sont souvent la cible des critiques qui leur reprochent de parler en novlangue pour cacher leurs intentions réelles. De fait, leurs discours sont souvent techniques et peu clairs. Ils ont tendance à tous se ressembler, comme s’ils cherchaient à effacer leurs affiliations idéologiques.
Cet usage est assez cohérent avec ce qu’Orwell, militant libertaire revendiqué, défendait lui-même. Selon lui, « le langage politique consiste principalement d’euphémismes, pétitions de principe et imprécisions nébuleuses. » Cependant, il ne s’agit pas là d’un code langagier à part entière.
L’écriture inclusive, pratique orthographique féministe visant à remettre en question l’universalité du genre masculin, est aussi parfois cible de comparaison à la novlangue.
Le langage des grandes entreprises, mêlant anglicisme et jargons est aussi qualifié de novlangue. On le retrouve dans la vie privée avec l’expression « je gère » par exemple.
Le terme novlangue s’emploie aujourd’hui pour critiquer les usages langagiers des autres. On les jugera incohérents, impropres, dégradant la langue. On leur reprochera de politiser la question de la langue. Cependant exprimer une injonction à parler d’une certaine manière, aussi « correcte » soit-elle, c’est aussi faire entrer des questions de politique dans la langue.