L’emoji est-il un mot comme un autre ?
En 2015, le dictionnaire d’Oxford a élu l’emoji qui pleure de rire “mot de l’année”, tant il est utilisé par les Anglais. C’était avant le Brexit. Qu’en est-il aujourd’hui? 😉 Les emojis s’imposent dans la langue ! Ces petits visages jaunes déclinés à l’infini sont partout dans le langage numérique : dans les SMS, sur les réseaux sociaux, même, fait nouveau, dans les courriels professionnels… Mais ne sont-ils que des mots?
Avant d’être un mot, l’emoji est une palette enrichie de la ponctuation et un véritable pont civilisationnel.
Le mot emoji vient du japonais, littéralement image (« e ») et lettre (« moji »). Et cette étymologie asiatique dit toute son originalité et la difficulté de son maniement dans le langage occidental. Ce n’est pas seulement un mot, et c’est bien là tout son intérêt. Il présente autant de lourdeur (de grosses grimaces) que de finesse (une petite larme sur le coin d’un œil) et de subtilité. L’emoji sert à compléter une phrase écrite, lui donner une prosodie, ou matérialiser une émotion. Il compense à l’écrit la perte de l’intonation du locuteur. Il adoucit des phrases ou y ajoute une connotation.
Au premier niveau de lecture, l’emoji a des qualités pratiques. Au deuxième niveau de lecture, son usage sera peut-être demain à enseigner…
Aujourd’hui ces petits visages ne sont plus seulement des visages ronds et jaunes accompagné d’une paire d’yeux et d’une bouche. Ils se déclinent selon la couleur de peau, au masculin et au féminin. Certains réseaux sociaux et systèmes d’exploitations proposent même de personnaliser son emoji : coupe et couleur de cheveux, couleur de peau, forme des yeux, corpulence, style vestimentaire et toutes sortes de gadgets… L’emoji est devenu un autre soi. Et finalement, créer son emoji, c’est répondre à la question : comment ai-je envie d’être regardé? Avoir un emoji qui nous ressemble, c’est la preuve d’avoir sa place dans la société : couple homosexuel, un drapeau transgenre…sont les nouveaux de 2020.
L’emoji figure des émotions comme les filtres photographiques dénaturent les images.
Les emojis prennent de plus en plus de place : 2,3 milliards d’emojis envoyés en 2016. L’utilisation est facile et rapide, choisir l’emoji qui correspond à l’émotion ou à l’état que l’on veut transmettre, à un lieu ou un objet et appuyer sur envoyer. Plus besoin de décrire et d’écrire.
Son passage dans la sphère publique, notamment dans les courriels professionnels, mériterait toutefois qu’on accord plus d’attention à son usage… Lors d’un conflit, comment plus tard interpréter l’usage d’un émoji? Qui traduira le réel? Il faut se méfier des apparences. Un émoji n’est pas nécessairement emphatique. Les sens sont parfois détournés (un emoji qui pleure pour dire que l’on rit). Sens dénoté et sens connoté, les deux sont possibles avec ces visages. L’emoji c’est aussi l’emphase d’une émotion : qui n’a jamais envoyé un emoji qui rit aux éclats le visage stoïque au bureau, ou un émoji qui pleure sans une larme qui coule ?
Comme les mots et les expressions, certains emojis sont favorisés par leur époque.
6 ans après avoir été élu mot de l’année, 😂 a été décrété ringard par la “Gen Z”, les jeunes nés dans les années 90. Plusieurs explications : Trop utilisé, vidé de son essence, et le pire : très populaire chez les boomers. Sur Tiktok ou Twitter, il est remplacé par la tête de mort💀, comme pour dire “je suis mort de rire”.