Pourquoi souhaite-t-on une belle journée?
Et soudain, la journée n’est plus bonne, mais belle. Dans les courriels comme dans les matinales radio, cette formule de politesse fait florès et interpelle. Le passage de la bonté à la beauté traduit-il un changement de société ? Ou bien un désir de se distinguer à peu de frais?
Par bonté, on entend une forme de bienveillance active envers autrui.
Ce qui est bon est donc, par extension, ce qui veut ou fait du bien à l’autre. Le beau, en revanche, c’est ce qui fait éprouver une émotion esthétique. Si ces deux termes ne sont pas antinomiques, ils se situent sur des registres très différents : le premier est empreint de connotations morales, le second renvoi à quelques chose de plus superficiel.
Cependant, la différence de sens entre le bon et le beau explique difficilement pourquoi l’on est soudainement passé de l’un à l’autre. On pourrait hasarder une explication facile sur ce que cela dit du glissement vers une civilisation de la superficialité, désormais préoccupée de l’aspect esthétique de ses journées bien plus que de leur caractère moral. La raison de ce changement est en fait plus simple et moins tragique.
Souhaiter une “belle journée”, de “belles vacances”, c’est déroger aux attentes.
Le caractère inattendu de l’adjectif crée un effet d’emphase et donne l’impression que le mot a été véritablement choisi. C’est une façon de remettre de l’intention dans ses propos, de leur donner plus de sens. Le poids de cette expression vient donc du contraste avec la formule habituelle.
À force d’emplois, “belle journée” finit cependant par perdre son pouvoir, et ne semble rien signaler d’autre que l’effort maladroit du locuteur pour se singulariser. La propagation de cette expression n’est finalement qu’un autre exemple d’une phrase, d’abord idiosyncratique, finalement banale et importune. Et si cette nouvelle manie de nos contemporains vous agace, vous pouvez comme Mylène Farmer chantonner “C’est une belle journée / Je vais me coucher”.