La douceur est-elle une notation sociale?
Durable, verte, douce, active : les adjectifs ne manquent pas pour raconter l’écomobilité en des termes attrayants à l’oreille contemporaine. Leur profusion dit bien l’ampleur de l’enjeu qu’ils recouvrent ; leur confusion dit combien le sujet est sensible. C’est avec lui que s’est soulevé le mouvement des Gilets jaunes, illustrant l’étalement de la thématique « mobilité ». Celle ci va du coût des carburants au climat en passant par l’inclusion et l’égalité.
L’idée de « douceur » semble aujourd’hui s’imposer. Elle contrebalance la rugosité de ce qu’on appelle la transition énergétique.
En 1992, la mobilité était au cœur, déjà, des débats qui ont animé l’Agenda 21, étape première d’un plan d’action pour la planète au XXIe siècle. À l’heure où l’on veut oxygéner les villes et faciliter l’accessibilité des zones rurales, la mobilité est une question cruciale. Elle se pose à l’aune des problématiques environnementales et d’aménagement du territoire. En ce sens, les adjectifs durable et vert n’étonneront pas : ils sont courants dans le vocabulaire de la RSE (Responsabilité sociale et environnementale). On les retrouve aussi dans le nouveau langage urbain quand il s’agit de référer des solutions « zéro carbone » — développement durable, ville durable, énergies vertes, bâtiment vert, …
On dit peu mobilité verte ou transports verts. Pourquoi, sur cette question, la douceur plus que le vert s’est-elle imposée? Au-delà de la formule de technocrates (rappelons que la marche à pied est une forme de mobilité douce) voire de l’anglicisme (soft touch), voilà qui bouscule l’usage classique de ce mot dans l’univers de la consommation. La douceur était jusqu’alors réservée à d’autres secteurs comme la cosmétique, l’hygiène ou le textile par exemple. Pendant des années, les publicitaires ont rivalisé d’imagination pour vanter les mérites de lessives qui laveraient plus doux ou de prix qui seraient plus doux.
Sensuel et sensible, la « douceur » déplace l’enjeu climatique planétaire à l’échelle de l’individu.
La problématique devient une question de bien-être et de qualité de vie, c’est là toute la force de son usage. C’est ce qu’on appelle en journalisme, la loi de proximité dite également loi du mort kilométrique.
La douceur nous conduit aussi du côté des valeurs et cela aussi c’est nouveau en matière de transport et d’habitat.
La douceur est une qualité morale qu’on prête à ceux qui sont attentionnés, sages, voire résiliants, discrets et peu bruyants aussi. La métamorphose est là. A l’idée de confort qui a parcouru tout le XXe siècle dans l’automobile et l’habitat comme la quête d’une performance et d’une abondance sans cesse renouvelées (vitesse, équipements, etc.), succède la douceur à laquelle on accède par l’effort, l’attente et la frugalité : marcher, faire du vélo ou préférer des énergies renouvelables.
La douceur appliquée aux moyens de transport installe une nouvelle vision des comportements humains en société. Plus morale et moins consumériste : le confort se clame quand la douceur ne fait pas de bruit. Le confort confine à l’orgueil, la douceur est généreuse. Dans cette vision, l’idée de confort ne prévaut plus de facto, mais l’idée de vertu et de droiture sociale émerge.
Juridiquement qualifiées de personnes morales, les entreprises font aujourd’hui l’objet de notations sociales. Et s’il en était bientôt de même pour les individus? En Chine, c’est déjà fait...