C’est quoi un espace capable ?
Dans les projets immobiliers porté par Réinventer Paris et Inventons la Métropole du Grand Paris, à la rubrique innovation, la tendance voudrait qu’on image aujourd’hui des « espaces capables ». Certes, mais capable de quoi ? Sans précision, l’adjectif signifie que l’espace possède toutes les qualités requises pour sa fonction.
C’est un paradoxe ; l’espace capable est capable précisément parce qu’il ne répond pas à un usage déterminé et qu’il offre un large potentiel programmatique.
L’idée n’est pas nouvelle, mais son anthropomorphique interroge. Les architectes modernes appelaient cela le « plan libre ». Le vocable en lui-même était une promesse d’avenir. Dans la période de la reconstruction du pays, systématisé par Le Corbusier, ce principe constructif répondait à la nécessité de construire vite, à moindre coût et en série. Comment être capable, sans être ni banal ni trop coûteux ? Le défi est là.
La question est autrement plus complexe aujourd’hui puisqu’il faut intégrer la distribution des fluides : eau, électricité, etc. à l’intérieur de l’espace. Elle obsède désormais les architectes et constitue un facteur économique majeur. On a construit des bâtiments qui contraignaient l’espace, on leur a assigné des rôles : ici le logement, là les bureaux mais pas l’un ou l’autre ; un cinq pièces mais difficilement un studio équipé et un quatre pièces en deux temps trois mouvements. Aujourd’hui, nous devenons plus mobiles, nos vies sont plus poreuses. La vie sociale est à géométrie variable tandis que les micro-entreprises prospèrent souvent dans le salon familial.
À mesure que l’instabilité l’emporte sur la permanence, la flexibilité des espaces s’érige en impératif.
Mais le choix d’un vocabulaire anthropomorphique interroge, il dit beaucoup de l’évolution des sociétés. Dans le jargon architectural, la capabilité des espaces et des volumes dépend de leur neutralité. Voilà donc que « capable » désigne moins une aptitude spécifique que l’adaptabilité et la capacité à être flexible. Lorsqu’il est incapable, l’espace se retrouve vacant, comme les milliers de m2 du bureaux impossibles à louer en Île-de-France. Réversible, modulable, évolutif : l’espace capable est le symptôme de l’hybridation de nos modes de vie mais aussi de nos identités.
Adaptabilité, polyvalence, c’est aussi ce qu’on demande de plus en plus aux individus dans leur vie professionnelle pour les éloigner du chômage. L’employabilité, ce qu’on appelait d’ailleurs naguère les capacités, ne serait finalement que le versant humain de l’espace capable.